Nous avons parfois à étudier des chiens – tout ce qu’il y a de plus stables – mais qui inquiètent leur gardien. Il pense – ou quelqu’un a réussi à le convaincre – que son chien a un problème.
À l’observation, nous voyons un chien en longe ou en liberté, dont l’intérêt se situe le plus souvent dans le sol. C’est un chien qui explore, marque, creuse, se plaît dans les zones végétales ou boisées, sur les bas-côtés. Il revient de temps à autres vers son humain, puis repart. Il montre de l’autonomie dans l’environnement et beaucoup de sécurisation. Il relève la tête lorsque des humains inconnus le croisent à quelques mètres. Il les suit des yeux avec curiosité et intérêt, puis continue ses pérégrinations, comme si de rien était. Tour à tour, c’est un chien qui suscite l’étonnement et la méfiance des promeneurs qu’il scrute du regard. Si ces derniers l’appellent, le chien ne moufte pas, mais l’observation se poursuit, provoquant un petit malaise chez les humains.
La conduite du chien sera bien souvent la même avec ses congénères alors même que ceux-ci exprimeront une grande frustration de ne pas pouvoir le rejoindre à cause de leur laisse. Si ce chien n’agresse pas les humains qui passent en l’appelant, il n’agressera pas non plus le chien qui veut interagir avec lui, mais qui est retenu par sa laisse.
Cependant, cela ne veut pas dire qu’il a envie que les promeneurs approchent, ou que le chien vienne jusqu’à lui.
Cela ne veut pas dire non plus que ce chien ne passera pas à l’agression si après l’avoir appelé et observé qu’il ne vient pas, les promeneurs se dirigent quand même vers lui.
Il en est de même pour les autres chiens qui s’imposeront à lui alors qu’il a exprimé son désir d’être laissé tranquille.
À l’observation vidéo, on voit que ce type de chien, qu’il soit tenu en longe ou laissé en liberté, est dérangé par l’agitation du chien qui le croise. Il aura tendance à s’éloigner de lui et parfois, au grand dam de ce chien, il sera suivi par le chien du promeneur qui a décidé de manière unilatérale de laisser partir sa laisse à enrouleur vers un chien qu’il ne connaît pas et qui s’est éloigné du sien.
Et là, c’est l’agression.
Oui en effet, mais c’est un chien.
Et ?
Et dans le contexte que vous décrivez, le choix de l’agression est compréhensible. Le problème ce n’est pas votre chien, ou l’autre chien. Le problème c’est la personne qui a laissé son chien venir vers le vôtre alors qu’il s’est éloigné. »
Aujourd’hui, dans la croyance collective, les chiens jouent tout le temps entre eux, même quand ils ne se connaissent pas. Les chiens croient en fait que tous les chiens de la planète sont leurs amis. En gros, pour beaucoup d’humains, les chiens sont un peu bêtes. Mais la vérité c’est que la majorité des gardiens ne savent pas ce qu’est une charge ou une courbette d’imposition (prise pour une invitation au jeu), un piétinement raide face au chien (ayant pour but de le déplacer), une posture couchée qui le menace (prise une fois sur deux pour de l’apaisement), etc.
Dans cette vision immature du chien qui joue tout le temps et qui aime tout le monde, l’individu qui s’occupe seul, souhaite rester tranquille et explorer l’environnement a forcément un problème. Si ce chien grogne parce qu’il est envahi, c’est la consternation générale des humains présents. « Il est agressif ». L’humain qui accompagne ce genre de chien finira par ne plus être à l’aise avec ses propres congénères. Il se lassera de devoir tout le temps s’excuser du comportement de son chien qui, il faut bien le dire, semble plus serein que tout le monde ici, humains compris.
Je vois bien qu’il n’est pas comme les autres chiens. Parfois je me demande même s’il n’est pas autiste ou au moins asocial.
Et on évitera de lui coller les lassants « il ne comprend pas les signaux d’apaisement », « il n’a pas les codes canins », « il ne comprend pas les appels au jeu (qui n’en sont pas) », etc. L’information autour du chien étant bien plus accessible qu’avant, ces étiquettes sont employés sans être comprises. Mais l’essentiel n’est toujours pas su. Et ça, c’est assez général.
Cette situation est très actuelle. On ne la rencontrait pas il y a encore dix ans. Que se passe-t-il pour que nous doutions à ce point de l’équilibre de notre propre chien ? Le problème, avant d’être « canin » est « humain ». Le souci vient de cette habitude de ne plus rien observer, de juger trop vite, de donner des conseils à qui n’a rien demandé, et de cette propension à croire tout ce que les autres nous racontent, surtout s’ils ne sont pas compétents. Ce n’est pas parce qu’une personne a adopté cinq chiens dans sa vie ou qu’elle est bénévole dans un club canin qu’elle sait. Et surtout personne – pas même un professionnel – n’est autorisé à vous donner un avis que vous n’avez pas sollicité.
Imaginez qu’un pédo-psychologue se permette de dire à des parents qu’il croise au jardin public : « Attention Messieurs Dames, je crois que votre enfant a des problèmes avec la frustration. »
Une fois l’étude réalisée, ces personnes sont soulagées. On avait réussi à les convaincre que leur chien a un gros problème, et qu’il faut (bien souvent) le castrer. Il faut croire aujourd’hui que prendre le temps d’observer, de réfléchir et de faire le choix de ne pas aller vers l’agitation est un signe de maladie mentale.
Si vous avez un doute sur l’équilibre de votre chien parce que des personnes vous polluent avec leurs jugements et leurs conseils que vous ne leur demandez pas, si vous ressentez le besoin d’en avoir le coeur net, contactez vite un professionnel du comportement formé et compétent. Ne restez pas avec ces questions qui risqueraient à long terme de modifier votre propre regard sur votre chien et à long terme votre comportement envers lui. Ce serait dommageable car inéluctablement, vous influencerez les conduites équilibrées de votre chien.
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